Amédée VI, dit le comte vert (1334-1383)


On appelait ce prince "le Comte Vert". Il avait en effet une prédilection pour cette couleur : ses costumes, la livrée de ses gens, les housses de ses chevaux, sa tente de campagne militaire, tout était vert. Le surnom lui vient de la couleur de son armure. Tournois fréquents et chamarrés, expéditions guerrières couronnées de succès, croisades en Orient, donc beaucoup de panache, mais aussi de la sagesse, de l'habilité politique et un contact humain facile rendirent Amédée VI sympathique et populaire.

Amédée VI est né à Chambéry le 4 janvier 1334, fils du Comte Aymon, dit le Pacifique, et de Yolande de Montferrat. Il est mort le 1er mars 1383 à San Stefano.

Amédée VI succède à son père à l'âge de neuf ans. Il est le 17ème comte. En 1350, il épouse Bianca Visconti puis il occupe Turin, Ivrée et Pignerol. (Turin avait déjà été soumise sous Amédée IV). Dès cet instant, installé dans son château de Chambéry (acheté en 1232), il gouverne seul son état.

1355 : il obtient de la France, le Faucigny (traité de Paris) contre les enclaves qu'il possédait en Viennois. Pour sceller cet accord avec le roi de France, Jean le Bon, Amédée VI épouse une princesse française, Bonne de Bourbon (1341-1402), petite-fille du roi de France, Charles IV le Bel et nièce du roi Philippe VI de Valois.

Bonne de Bourbon, surnommée la "Grande Comtesse", seconda grandement Amédée VI, elle était plus qu'une compagne : une collaboratrice et au besoin une remplaçante

Elle fut également régente pour son fils Amédée VII puis pour son petit-fils Amédée VIII. C'est elle qui fait le choix de Ripaille (déjà fréquenté par Amédée V) comme résidence comtale et qu'elle embellit de 1371 à 1388.

Le règne d'Amédée VI fut un moment prestigieux de l'histoire vaudoise. Le Comte Vert achète le pays de Vaud à sa cousine Catherine. et fait son entrée au Pays de Vaud en été 1359 pour recevoir l'hommage de ses nouveaux sujets, après avoir juré le respect de leurs franchises, coutumes et privilèges.

Par la suite, Amédée VI revint fréquemment, notamment à Chillon et à La Tour-de-Peilz. Les Vaudois représentaient un atout précieux pour Amédée car ils combattaient à ses côtés et remplissaient d'importantes charges et missions.

En novembre 1352, accompagné des milices vaudoises, Amédée VI entreprend le siège de la ville de Sion, laquelle tombe après 4 jours de combats. L'incendie et le pillage n'épargnent pas même la cathédrale.

En 1353 et 1355 les troupes vaudoises assistent Amédée VI pour les campagnes de Gex et du Faucigny.

Amédée VI, comme tous les grands princes du moyen âge, désirait sa croisade, et il l'eut, contre les Turcs dont la puissance grandissait dans des proportions redoutables pour l'Occident chrétien.

En 1363, le Comte Vert se déclare prêt à tenter l'aventure. Aux motifs religieux s'ajoutaient pour lui d'autres considérations: il était cousin par alliance de l'empereur byzantin Jean Paléologue; en outre, sa qualité de chef de la Maison de Savoie lui permettait de reprendre les prétentions de la branche cadette sur l'Achaïe; c'était aussi une occasion de débarrasser le pays des routiers (bandes de pillards) qui s'y étaient infiltrés, en les enrôlant pour l'Orient. C'est pourtant bien l'élément chevaleresque qui paraît avoir eu la part prépondérante dans cette entreprise lointaine. Car c'est en relation avec la croisade projetée que le Comte Vert créa l'Ordre du Collier de Savoie, appelé plus tard l'Ordre de l'Annonciade, et qui devait grouper quinze membres choisis parmi les chevaliers les plus illustres. Il l'institua en 1364, d'entente avec son inséparable ami Guillaume de Grandson, et ce grand Vaudois surnommé le Preux en fut ainsi le premier membre. Les seigneurs appelés à faire partie de cet Ordre de chevalerie devenaient "compagnons et frères" du comte, et ils portaient un collier avec trois lacs d'amour "à la devise Monseigneur", c'est-à-dire à la devise de la Maison de Savoie " Fert ". ( Le sens de ce vocable n'a jamais été élucidé de manière décisive). On peut voir encore aujourd'hui peint à la voûte de l'Eglise de Moudon l'Ecu de Savoie entouré du Collier de l'Annonciade.

1365, s'étant reconnu vassal de Charles IV (l'empereur), il devient vicaire impérial, perpétuel et héréditaire pour une grande partie de l'ancien royaume d'Arles. ce qui lui permet de recevoir l'hommage de tous les comtes et évêques de Grenoble à Lausanne

Après avoir remis la direction de l'Etat à la comtesse, pour la durée de son absence, Amédée quitte la Savoie avec 1500 hommes au printemps 1366.

Les milices communales vaudoises ne participent pas à cette croisade en vertu des franchises du pays; en revanche plusieurs seigneurs du Pays de Vaud suivirent leur prince au delà de la mer.

Partie de Venise le 11 juin 1366, la flottille du Comte Vert suit la Mer Adriatique jusqu'à Constantinople, qu'elle touche en septembre. Là il apprend la mésaventure dont vient d'être victime le basileus, (titre que portait l'Empereur d'Orient) retenu traîtreusement par les Bulgares. Le devoir urgent du comte est donc de délivrer son impérial cousin. Ce qu'il fait : l'empereur est libéré.

Guillaume de Grandson, a brillamment représenté le Pays de Vaud. Il fut le bras droit du Comte Vert durant toute la croisade, et c'est peut-être de ce voyage d'Orient et des splendeurs artistiques qu'il y avait contemplées, qu'il a rapporté, tel autrefois le comte Amédée V rentrant d'Italie, l'idée des belles fresques qu'il fit peindre dans le chœur de l'église de Ressudens, en sa seigneurie de Grandcour. Elles y subsistent encore aujourd'hui (ces fresques de 1376, passées à la chaux à la Réforme, ont été redécouvertes lors de la restauration de 1922-1923) peut-être comme un mémorial de cette fière aventure d'outre-mer.

Cinq ans ne s'étaient pas écoulés qu'Amédée se trouva engagé dans une nouvelle campagne au-delà des Alpes. Il avait pris la tête d'une coalition suscitée par la papauté contre les Visconti de Milan, dont la puissance et le despotisme menaçaient tous leurs voisins. Les opérations autour d'Asti, en juillet et août 1372, fournissent à plusieurs seigneurs du Pays de Vaud l'occasion de montrer leur bravoure. Le seigneur de Cossonay et le comte de Gruyère, ainsi que Guillaume et Jean de Grandson y cueillirent quelques lauriers, tandis que Jean de Montfaucon, seigneur d'Orbe, y trouvait une mort héroïque.

Les rapports du Comte Vert et de ses sujets vaudois ont toujours été nombreux et suivis, et empreints de confiance et de cordialité.

Malgré ses hautes visées politiques et militaires Amédée VI n'a pas négligé notre petit pays. C'est sous son règne que les Etats de Vaud, assemblée représentative du pays ont pris figure d'institution régulière et reconnue, dont le rôle va grandissant.

Signalons encore que par le décret de Ripaille du 2 janvier 1373, il est précisé que les nobles et bourgeois de tout le Pays de Vaud, en cas d'appel à la cour judiciale de Chambéry, sont jugés en dernier ressort selon les lois et coutumes vaudoises.

En 1365, s'étant reconnu vassal de Charles IV (l'empereur), il devient vicaire impérial, perpétuel et héréditaire pour une grande partie de l'ancien royaume d'Arles. ce qui lui permet de recevoir l'hommage de tous les comtes et évêques de Grenoble à Lausanne.

Autre succès du comte en Piémont: en 1382 Louis d'Anjou lui cède ce qui restait des domaines des Angevins de Naples au débouché des Alpes. Les Visconti et le roi de France l'empêchent de s'emparer du marquisat de Saluces, ce qui ne l'empêchera pas d'occuper Biella et Coni. La plus grande partie du Piémont est désormais savoyarde. Son prestige en Italie sera considérable jusqu'à sa mort: Gênes et Venise le choisissent pour arbitre de leurs querelles.

Lorsqu'il venait à Moudon, le comte ne pouvant disposer à son gré du château puisque le bailli de Vaud l'occupait, acquit une maison.

Quelques historiens pensent identifier cette demeure du Comte Vert avec ce que l'on nomme improprement la "Maison des Etats", vieille bâtisse d'un grand intérêt, ornée d'un écu de Savoie avec les lacs d'amour de l'Annonciade et que l'on peut voir à la rue du Château.

Ce beau règne devait finir tragiquement. Victime de son goût de l'aventure et de ses hautes ambitions politiques, le Comte Vert trouva une mort sans gloire. Il meurt de la peste en Campanie, au cours d'une expédition contre Naples où il était parti de soutenir les prétentions du prince français Louis d'Anjou au trône de Naples (prétentions que soutenait le pape d'Avignon pour faire échec au pape de Rome) contre son rival Charles III de Duras.

L'armée quitte Turin le 8 juillet. A partir de Ravenne, atteinte le 15 août, l'état sanitaire de l'armée commence à donner des inquiétudes : à Ancône, il faut laisser en arrière de nombreux malades. En septembre, la marche se poursuit vers Spolète et Aquilée; à la fin octobre, la troupe arrive enfin à Caserta, près de Naples. Là, le Comte Vert, indisposé depuis quelque temps déjà, se fait faire une saignée par son barbier, sans obtenir d'amélioration sensible.

Comme la situation paraissait sans issue et que sa santé s'altérait de jour en jour, il décida de rebrousser vers le nord, dans la direction des Abruzzes; il s'arrêta à San Stefano le 15 février. La peste venait de se déclarer dans le camp. Le comte voit mourir un à un quelques-uns de ses plus fidèles compagnons, entre autres le sire de Cossonay. Lui même, dès le 19 février, ne peut plus quitter le lit. Le 27, il dicte ses dernières volontés et remet à son maréchal, Gaspard de Montmayeur, le fameux anneau de Saint-Maurice, symbole mystique du pouvoir dans la famille de Savoie: ce gentilhomme avait pour mission de le rapporter au fils et successeur d'Amédée. Dans la nuit du 1er mars 1383, le Comte Vert expire en présence de Louis d'Anjou, du comte de Genève et de plusieurs autres seigneurs.

Sous la direction de Gaspard de Montmayeur, les familiers du prince se préoccupent de ramener sa dépouille mortelle en Savoie.

Lorsque le maréchal Gaspard de Montmayeur meurt à son tour, c'est Thomas Bize (de Moudon) qui se procure une litière drapée de noir et marquée aux armes de Savoie pour y placer la bière. Ainsi reviennent tristement à travers le Piémont, à petites journées, les quelques cent trente compagnons du Comte Vert, rescapés du désastre de Naples. Le convoi funèbre, entouré de quinze hommes portant torches, parvient le 8 mai au lac du Bourget, à Hautecombe, où l'attendaient la Grande Comtesse et son fils, avec de nombreux dignitaires, parmi lesquels Guillaume de Grandson, Louis III de Cossonay et l'évêque de Lausanne, une délégation était même venue de Berne. L'animation fut intense ces jours-là sur le lac sillonné d'embarcations. Après la sépulture, un grand dîner fut servi à tous les assistants, c'est ainsi que le glorieux Comte Vert, le comte-chevalier, descendit dans la paix sépulcrale, auprès de ses aïeux, à l'ombre de la grande abbaye des rives du Bourget. Il était âgé de quarante-neuf ans; il avait régné quarante ans.



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