22 - La CROIX-ROUSSE, brève histoire : La Croix-Rousse sous le Second Empire 1852-1870.



 

1 : L’eau, le gaz, les pavés et l’hôpital.

 Parmi tous les livres que je consulte pour écrire cette  “petite histoire“ j’ouvre une nouvelle fois celui de Josette Barre, “La colline de la Croix-Rousse“, qui me sert de fil d’Ariane…

A la page 110 de celui paru en 2001  (J-B a fait paraître deux livres avec le même titre) je lis :

 « Par de grands travaux, le préfet-maire (il s’agit de Vaïsse) veut s’ efforcer de compenser les désavantages politiques de l’assimilation par des avantages matériels, autant pour Lyon que pour ses anciens faubourgs….

Pour la Croix-Rousse, il propose immédiatement au ministre de l’intérieur de “rechercher toutes les solutions pouvant contribuer à l’amélioration pour les eaux, la propreté, la salubrité, surtout pour rendre plus directes et plus faciles les communications de la Croix-Rousse à l’intérieur de la ville où les ouvriers ont constamment à faire pour aller chercher ou rapporter du travail“. Les travaux ne manquent pas et le rapporteur de la commission municipale en signale d’autres : “des quartiers malsains à assainir, des rues à élargir, à aligner ;  des voies publiques à créer pour desservir les quartiers montueux ; des trottoirs, un  meilleur système d’éclairage, de nettoiement, des réparations indispensables aux nombreux chemins.“ Tout ce qui n’a pu être fait auparavant, les autorités souhaitent s’y intéresser. »  

Les premiers travaux qui vont être entrepris, parce que jugés les plus urgents, sont  l’adduction de l’eau en quantité suffisante et l’évacuation des eaux usées jusque là inexistante, et cela en même temps que l’adduction du gaz pour un meilleur éclairage public et le pavage des rues qui n’ étaient pas encore pavées.  Quand je vois de nos jours telle rue défoncée et réparée à multiple reprise pour y faire passer successivement diverses conduites, je me dis que vraiment les  “anciens“ étaient loin d’être plus “idiots“ que nous !

C’est la Compagnie Générale des Eaux, créée à Paris en 1853, qui est chargée du vaste chantier des eaux et des égouts.  Une usine est donc créée Grande Rue Saint Clair et de là l’eau filtrée du Rhône (toujours la meilleure, il n’y a pas que le Beaujolais à Lyon !) est pompée par d’énormes machines, les fameuses pompes dites de Cornouailles, 20 mètres de haut et 13 de large, construites aux usines Schneider du Creusot. Les nombreuses chaudières à vapeurs qui alimentent ces pompes sont nourries au charbon de Saint Etienne qui arrive par la voie ferrée toute proche. Ces pompes, par de grosses conduites, refoulent l’eau vers deux réservoirs, l’un à mi-pente pour l’alimentation de la “ville basse“ et l’autre au sommet du Plateau, à Montessuy, pour l’alimentation du Plateau et des Pentes.

Ce sont les Pentes qui bénéficieront les premières des installations car, nous nous en souvenons, le faubourg était lié par le contrat de son ancienne municipalité avec  la compagnie qui assurait la modeste alimentation que nous avions vue.

En 1857 cependant, la CGE  rachète la concession précédente et peu à peu, au gré des crédits, tous vont bénéficier de l’eau et des égouts. Des bornes plus nombreuses et plus généreuses sont implantées et certains particuliers privilégiés commencent à pouvoir jouir d’un robinet à domicile, mais il faudra encore beaucoup de temps pour que disparaissent les corvées d’eau, souvent réservées aux enfants. Des bouches d’incendie sont aussi installées qui permettront enfin le nettoyage des rues.

Profitant de l’ouverture des rues,  la  Compagnie du Gaz de Perrache procède à l’installation d’un réseau pour alimenter de nouveaux réverbères. Si, à cette époque, les becs de gaz commencent à faire leur apparition en France dans certaines habitations les plus luxueuses, car on fabriquait dès 1853 des becs à flamme circulaire “de type Argand“, j’imagine que nos canuts devaient s’éclairer à la lampe à pétrole ou encore à la bougie. Il faudra attendre l’aube du XX° siècle pour que le fameux “bec Auer“ se généralise et remplace les lampes à huile ou à pétrole (l’ampoule électrique ne date que de 1879, quand Edison reprenant à son compte des inventions antérieures non protégées par brevet, met au point la lampe dite “à filament carbone“). Je me rappelle qu’après la guerre (celle qui devait être la der des ders), lors des pannes d’électricité assez fréquentes, mon père allumait, dans notre petit appartement de Sainte Foy, deux de ces becs qui y étaient encore : Je ne vous dis pas le ravissement du gone d’alors, il n’en fallait pas plus à l’époque !

Ces installations de conduites d’eau ou de gaz effectuées, la ville fournit un gros effort pour le pavage des rues. Dans les pentes, les rues du Clos Riondel sont enfin pavées et les autres sont repavées. Sur le Plateau, où il y avait tant à faire pour rattraper le retard, la plupart des rues seront pavée avec ces galets ronds du Rhône appelés “têtes de chat“ car cela coûtait bien moins cher que  les pavés taillés, en outre les chevaux  s’y sentaient plus à l’aise et les piétons n’avaient qu’à marcher sur les trottoirs qui faisaient leur apparition !

 Ainsi les conditions sanitaires de nos quartiers s’amélioraient, mais un autre grand progrès sera la construction de l’hôpital de la Croix-Rousse.

Nous avons vu que les habitants du Plateau, maintenant nombreux, n’avaient d’autre choix que d’aller se faire soigner à l’Hôtel-Dieu, l’hôpital du bord du Rhône, ce qui ne manquait pas de faire dire aux lyonnais grincheux (ça leur arrive !) : “ils profitent de notre hôpital financé par les droits d’octroi que nous payons…“

L’ Hôpital de la Charité, quant à lui, ne recueillait pas les malades mais les assistés de toutes sortes comme nous l’ avions vus dans une autre histoire du Gone.

Dès 1853, Vaïsse avait noté ce souci comme prioritaire :  “un  hôpital qui dispense les malades du long trajet qu’ils ont à faire pour venir chercher du secours à l’Hôtel-Dieu et qui recueille les vieillards qui n’ont pas de ressources, sans les éloigner de leur famille et de leurs amis“. Citée par J-B, cette phrase ne révèle-t-elle pas les qualités de coeur de notre homme ?

Il faut dire aussi qu' avec la réunion des trois faubourgs, Lyon comptait maintenant 250.000 habitants et avec ses 1.100 lits, l’Hôtel-Dieu ne pouvait plus faire face à la demande de la population, il était urgent de lui trouver une annexe.

 En échange des travaux qui le long du Rhône, rendaient leurs terrains des Brotteaux insubmersibles et leur donnaient une valeur nouvelle (voir encore la brève histoire de la Guillotière), les Hospices Civils veulent bien alors se charger de la construction d’un nouvel hôpital et tout naturellement c’est le Plateau de la Croix-Rousse qui sera choisi pour son implantation : La densité de sa population et la pureté de son air en faisaient un endroit tout trouvé.

Les propriétés Chazal, Guillot et Bouteille, soit en tout trois hectares, sont achetés 150.000 francs. La conception de l’hôpital est confiée à l’architecte Christot qui avait visité pour cela les grands hôpitaux parisiens notamment Lariboisière, l’administrateur des Hospices, Saint-Clair Duport, l’assiste..

A partir de 1856 les travaux de construction commencent pour se terminer en 1861. L’inauguration, présidée par Vaïsse, a lieu le 7 décembre 1861.

Le Docteur Frêne, médecin de l’Hôtel-Dieu détaché à la Croix-Rousse déclare :

“ C’est l’établissement le plus satisfaisant de la cité au point de vue de l’hygiène. L’air y circule librement dans les bâtiments et la lumière y est distribuée avec abondance ; des cours vastes et abritées sur ce plateau élevé, permettent aux malades de profiter sans inconvénients des bienfaits qu’un air pur et vivifiant peut leur procurer.“ (cité par J-B)

Dès l’ouverture, 330 lits de médecine générale, dont 70 payants, répartis en 7 salles, sont à la disposition des malades. Des frères et des sœurs, recrutés dans les autres établissements, assurent le service.

En 1866 une maternité est ouverte, puis en 1870 un service de chirurgie (guerre oblige), et encore, en 1875, un service de varioleux.

 En  cette deuxième moitié du XIX°, nous voyons que notre Croix-Rousse devient “à châ peu“ un quartier de Lyon tout à fait habitable. Finalement, l’annexion de 1852 et l’énergique gestion du préfet-maire  Claude Marius Vaïsse furent, dès le début, très bénéfiques pour cette colline.

Mais il restait encore à  mieux faire communiquer ce quartier du 4° arrondissement avec le reste de la ville et pour cela il faudra aménager des montées puis raser les remparts, ce sera, si vous le voulez bien, notre ouvrage pour la prochaine fois !

A vous revoir mes belins, ce soir n’oubliez surtout pas d’éteindre la lampe à pétrole ou le bec Auer, les incendies sont si vite arrivés avec ces inventions modernes !

Le Gone

 

Note sur Claude Marius Vaïsse, Maire et Préfet de Lyon de 1853 à 1864 année de sa mort.

 Par cette petite note, le gone voudrait contribuer à réparer une injustice dont semble souffrir la mémoire de ce grand homme, car, qui se souvient encore de lui en notre bonne ville, à part quelques historiens ?

Cette perte de mémoire vient-elle d’un refoulement dans les profondeurs de l’inconscient d’une ville qui n’a jamais apprécié une mise sous tutelle par un pouvoir central fort ?  Vaïsse n’était-il pas l’homme envoyé par ce Napoléon III qui n’ entendait pas donner des gages à la superbe lyonnaise ?... Mais il est bien difficile de conduire une ville chez le psychanalyste !

Si en 1865, un an après sa mort, on donna le nom du préfet à l’avenue du Parc de la Tête d’Or, et ce n’était que justice puisqu’on lui devait aussi la création de ce magnifique parc, en 1871 on s’empressa de redonner à cette avenue son ancien nom, avant qu’elle ne devienne en 1947 notre Avenue de Grande Bretagne.

Ce n’est qu’en 1957 (tardif remord ?) que non loin de là, la petite rue d’Helvétie devint rue Vaïsse, rue si modeste que le gone lui-même ne la découvre qu’aujourd’hui !

Et quel promeneur assez attentif remarque encore le petit buste de notre Préfet juché sur un socle démesuré, dans le silence d’un bosquet du Parc ?

 

Jean Claude Marius Magdeleine VAÏSSE  naquit à Marseille le 8 juillet 1799.

Quand il arrive à Lyon en 1853, nommé par Napoléon, ce haut fonctionnaire est un homme d’expérience. Il avait été avoué, intendant civil en Afrique, sous-préfet, préfet, membre du Conseil d’Etat. A Lyon il est à la fois préfet, maire et sénateur et, muni de tous les pouvoirs, il va réaliser des projets anciens et aussi les siens. Soucieux autant de l’hygiène que de la sécurité, véritable Haussmann lyonnais, il va sortir la ville de son urbanisme du Moyen-Age, favoriser son équipement et endiguer ses fleuves afin de la prévenir des inondations qui régulièrement la dévastait.

Sous son mandat, le centre ville devient un immense chantier, il en démolit sans hésiter les vielles maisons pour tracer les grands axes dont nous sommes encore fiers aujourd’hui, oubliant qu’ils les avaient aussi été tracés pour rendre possible les manœuvres des soldats et le tir des artilleurs du Maréchal de Castellane en cas de révolte urbaine !  Et ainsi nous avons la rue Impériale (Avenue de la République), la rue de l’Impératrice (Edouard Herriot), la rue de la Bourse, les quais du Rhône.

C’est encore à Vaïsse que nous devons notre magnifique Palais du commerce ou de la Bourse, symbole de la prospérité du temps. Commencé en 1856, il fut inauguré le 25 août 1860 en présence de Napoléon III et de l’Impératrice Eugénie. Si vous avez l’occasion de visiter l’intérieur, n’hésitez pas c’est une splendeur !

 C’est le 8 août 1864 que la mort vint prendre ce grand travailleur, j’allais dire ce grand “Lyonnais“ venu d’ailleurs, car n’est-on pas plus d’un lieu par ce que l’on y fait que par la simple naissance ?

L’homme est peut-être oublié, mais l’œuvre demeure. Et si un jour il vous plait de “faire la rue de la Ré“, faites plaisir au Gone, ayez une petite pensée pour notre grand homme…

 Le Gone