Un jour que Duvalon, un
habitant d'un hameau proche du col de la Madeleine, était monté au
village de Bessans et qu'il s'était attardé, alors qu'une tempête de
neige faisait rage, il trouva le chemin trop long et trop dur ;
plusieurs fois, son pied glissa dans la neige et, à bout de forces, il
s'écriat :
N'y aurait-il pas un Diable qui pourrait se présenter en ce
moment pour abréger cette distance qui me paraît si longue !!!!
Tout à coup, une ombre se présenta devant lui. Un homme de haute
taille, et à la voix d'une gravité exceptionnelle :
"Tu m'as appelé, je suis là ! Si tu veux, en moins de temps qu'il
ne le faut pour le dire, tu seras chez toi près de ta femme ; tu
parviendras aux honneurs si tu le désires ; tu auras la fortune et,
pendant cinquante années, tout ce que tu pourras souhaiter se
réalisera. Mais à une seule condition, tu m'appartiendras au bout de
ce temps !!
Ainsi parla Cambradin le diable...
La tentation était trop forte. Duvalon, après un instant
d'hésitation, accepta. Le pacte fut signé avec le sang de Duvalon sur
un parchemin que le Diable avait préparé. Avant de prendre congé de
Duvalon, il lui dit encore qu'il aurait besoin de sa présence de temps
en temps à l'avenir surtout la nuit.
Puis dans un grand bruit de tonnerre, au milieu des éclaires, le Diable
disparut...
De peur, Duvalon avait fermé les yeux, et quand il osa regarder de
nouveau, que tout fut calme, il eut la surprise de se trouver devant
chez lui.
Duvalon alla au service du Roi Louis XV. Mais la vie militaire ne lui
plaisait guère.
Après s'être sorti des mains des révoltés contre la gabelle, grâce
au secours de Cambradin, il voulut retourner chez lui, en Maurienne.
Comme il faisait des exercices au camp, en présence du capitaine,
audacieusement il proposa à celui-ci un pari extraordinaire :
Si je franchis le portique à cheval, que m'accordez-vous ?
Celui-ci de lui répondre en voyant l'impossibilité d'un pareil exploit
répondit :
Je vous accorde votre congé.
Faisant une nouvelle fois appel à Cambradin, Duvalon prit un bon élan
et, plantant les éperons dans le ventre de son cheval, d'un bond
vertigineux, franchit le portique sans même le heurter.
Le capitaine tint sa parole et Duvalon, ayant empoché la prime
d'engagement, se retrouva tranquille dans sa maison.
Quelque mois plus tard, par une nuit d'hiver glaciale, voilà qu'au
clair de luine, une voix se fait entendre du dehors en appelant :
Duvalon...Duvalon..., il faut partir!
Devant cette puissance autoritaire, Duvalon céda et suivit le
personnage. Mais quelques pas plus loin, ils furent transformés tous
les deux en loups hideux et partirent en hurlant pour terroriser les
quelques voyageurs attardés dans le chemin neigeux.
Les appels du redoutable visiteur devenaient de plus en plus fréquents
; mais il ne se montrait jamais à Annette, la femme de Duvalon.
Mais cette fois-là, par une nuit d'orage, à l'appel du Démon, elle
sortit à la place de son mari, et se trouva face à face avec un
monstre hideux qui lui dit :
Ce n'est pas toi que je veux, c'est ton mari ; c'est lui que je
demande et qui est sous mes ordres par contrat.
Annette répondit aussitôt qu'elle l'avait épousé et qu'il lui
appartenait.
- Ton mariage avec lui n'a aucune valeur, d'ailleurs, tu n'as
aucune preuve à me montrer.
- Si ! J'ai celle-ci....
D'un geste brusque, elle allongea son poing fermé et heurta de son
anneau de mariage le mufle de la bête. Alors d'un bond, le monstre se
renversa et, pris de frayeur, déguerpit en hurlant et disparut pour
cette nuit-là.
Duvalon se crut alors libéré de son engagement. Mais, un mois plus
tard, le visiteur se présenta de nouveau, avec insistance pour
réclamer l'âme de Duvalon. Annette, qui ne quittait plus son mari, le
tenant toujours par la main portant son anneau, voulut s'interposer et
finalement, obtint treize jour de délai.
Elle partit, toujours suivie de son mari, et alla exposer la situation
au directeur du couvent, de l'autre côté du col du Mont-Cenis. Après
avoir écouté toute l'histoire, il leur dit que seul le Pape pouvait
avoir le don de le libérer.
Les deux Duvalon se mirent en route pour Rome. Après de grandes
difficultés, le Pape les reçut.
Vous serez libéré de votre engagement, à la seule condition de
pouvoir assister de bout en bout à trois messes de minuit, et cela la
même nuit de noël, dans trois villes différentes, à Rome, à Paris
et à Londres.
Ils avaient encore sept jours devant eux pour réfléchir avant Noël.
Duvalon avait son idée, mais il n'en dit rien à sa femme ; et la nuit
du 24 décembre, pendant qu'Annette se lamentait, il sortit de chez lui
et appela Cambradin.
Quand celui-ci fut présent, il lui demanda de mettre à sa disposition
le cheval le plus rapide qu'il eût.
A l'instant même, un bruit formidable se fit entendre au dehors et un
grand cheval gris se présente sur le pas de la porte.
Duvalon lui demanda :
- Quelle est ta vitesse ?
- Je vais aussi vite que le vent.
- Ce n'est pas toi que je veux.
Un autre animal se présenta :
- Je vais à la vitesse de la lumière.
- Ce n'est pas toi que je veux !
A l'instant, un troisième cheval se présenta :
- Et toi, quelle est ta vitesse ?
- Je vais à la vitesse de la pensée.
- Ah ! Bien.... C'est toi que je veux. Tu vas me transporter
immédiatement à la porte de saint-Pierre de Rome.
Alors, dans un bruit d'enfer, comme si la montagne s'écroulait, le
cheval que Duvalon avait enfourché, l'emporta et Duvalon se trouva
instantanément devant la porte de la cathédrale. Il n'eut que le temps
de dire à son cheval de l'attendre jusqu'à la fin de la messe.
Dès la fin de la messe Duvalon se fit porter à la même vitesse devant
la porte de Notre Dame de Paris. La différence de l'heure de Paris et
celle de Rome était presque d'une heure et il eut la possibilité
d'assister dès le début à la messe de minuit à Paris.
A la sortie, il se fit transporter à Londres et, là aussi, comme
l'heure de Londres et celle de Paris différaient de cinquante minutes,
il put arriver à temps à la messe de minuit à Londres.
A la sortie, il utilisa encore son cheval pour se faire déposer devant
sa porte au village. De retour chez lui, Duvalon appela Cambradin et lui
demande de lui remettre son contrat. Celui-ci tendit le parchemin et par
miracle, la signature que Duvalon avait tracée de son sang était
effacée. A sa place, figurait la signature du Pape.
Cambradin, horrifié à la vue de ce signe, disparut dans un grand
tourbillon de neige et un bruit de tonnerre que l'on entendit dans toute
la vallée.
Duvalon vécut encore longtemps avec sa femme. Seuls, quelques amis
furent au courant de cette histoire et, de génération en génération,
elle parvint jusqu'à nous racontée durant les longues soirées
d'hiver.
Histoire racontée par Lucien Personnaz, Doyen de Bessans
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