Les petits ramoneurs savoyards
Les ramoneurs sont nés, il y a plus de quatre cents ans. Ils protègent les foyers contre le feu, ce qui leur vaut une popularité sans égale et leur attache la réputation de porte-bonheur
Dès le Moyen-Âge, semble-t-il, la Savoie a pratiqué l’émigration saisonnière pendant les mois d’hiver. Quand la rudesse du climat interdit toute activité à une population agricole, les hommes des villages se font colporteurs et se dirigent vers les pays rhénans - à partir de 1750 une prédilection pour la France, Paris et Lyon. Bien que pour le Français ramoneur signifie "Savoyard", leur recrutement se fait dans trois régions : la Maurienne, la Tarentaise et la vallée d’Aoste.
Au XIXe siècle, la tradition des petits ramoneurs savoyards amène certains enfants de Savoie à partir sur les routes de France pour aller ramoner les cheminées dans les villes, afin de fuir la pauvreté des familles nombreuses.
Le petit ramoneur est devenu l'emblème joyeux et coquin des Pays de Savoie.
Quand ils quittent leurs montagnes, ils emportent avec eux une petite marmotte pour se rappeler leur pays et ils la font danser pour gagner un peu plus d'argent.
Le ramonage est mal payé, mais les parents des familles pauvres doivent accepter que leurs enfants fassent ce travail. Départ le jour de la Saint-Gras (le 7 septembre) et retour l’année suivante, à la belle saison pour affronter les travaux des champs avec leurs parents.
Dès 6 ans, les enfants sillonnent à pied les routes de France, avec le maître ramoneur qui les a enrôlés... Chaque maître ramoneur a sa tournée et malheur à qui s’avisait d’aller chasser sur les terres d’autrui. Des rixes violentes s’ensuivaient. Les enfants voyagent à pied, même pieds nus pour économiser les sabots. Ils abattent des étapes de 40 à 50 kms par jour, les plus forts chargés de marchandises. Ils consacrent leur temps à mendier leur pain et celui de leur maître. Ils dorment à la campagne dans une écurie, en ville dans des chambres sales et humides "payant leur écot d’un ramonage matinal. " Souvent ils marchent la nuit pour échapper à la police, à l’affût de toute sorte de mendicité. Le sac destiné à recueillir la suie leur sert de couverture. Même quand circulèrent les chemins de fer, on fit encore à pied le voyage aller ; pour le retour, les ramoneurs obtenaient du PLM un permis à demi-tarif pour être rapatriés comme chômeurs. Aller en France, c’est partir pour l’étranger, les petits Savoyards doivent posséder un passeport où sont inscrits leurs nom et prénoms, leur taille, leur âge.
Ils ramonent avec un hérisson, mais ils peuvent aussi grimper à l’intérieur du conduit de cheminée pour la racler. En arrivant en haut, ils crient « Haut en bas ! ». Une échelle de 2 mètres leur permettait d’accéder à l'ouverture en bas de la cheminée. Ils travaillent avec une corde à noeuds pour descendre dans la cheminée, et avec une raclette ils enlèvent la suie. Ils sentent une forte odeur de suie. Après avoir ramoné, pour être payés, ils chantent: "Ohé! là! Ramone ici, ramone là, la cheminée, du haut en bas." C'était un travail dangereux, pénible et très mal payé. La suie, récupérée dans des sacs, est revendue à des usines.
Le maître ramoneur impose 14 heures de travail par jour toute la semaine pendant lesquelles l’enfant s’éreinte sur une trentaine de cheminées, le petit ramoneur ne connaît ni dimanche, ni jour férié. . S’ils veulent aller à la messe le dimanche, ils doivent acheter ce droit à leur patron avec une poignée de sous ! Ils sont mal et insuffisamment nourris, se contentant de pain noir et dur et de soupe ou de bouillie de maïs. Plus question d’apprendre à lire et à compter.
Les maîtres ramoneurs sont, la plupart du temps, d’anciens ramoneurs trop grands pour grimper dans les cheminées et se trouvent responsables d’une équipe de 3 à 6 enfants, appelés « Farias ». Tous travaillent pour un patron.
L’argent récolté, est récupéré intégralement par le maître ramoneur. Et souvent, celui-ci bat les enfants pour prendre aussi leurs pourboires. Il est chargé de fournir des vêtements neufs, de leur donner un logement, une paire de chaussures et le matériel de travail. Les petits ramoneurs sont vêtus d'un bonnet rouge noirci, d'une veste de bure, de guenilles et de genouillères Quand ils rentrent, en mai, le maître reverse aux familles une somme d'argent, équivalente au prix d’un veau.
. . . Les petits ramoneurs risquent de mourir de froid et quelquefois en ramonant ils se fracassent la tête lors d'une chute dans le conduit. Souvent, ils ont du mal à respirer et deviennent allergiques à la poussière ou aveugle de suie.
Les ramoneurs ont une langue bien à eux, ou plus précisément un argot qu’ils emploient au cours de leurs migrations saisonnières et qu’eux seuls comprennent comme le tarastiu des ramoneurs. les ramoneurs savoyards ne sont pas francophones de naissance, mais ont pour langue les différents patois de leurs villages respectifs - en Savoie ceux-ci appartiennent tous à la langue francoprovençale. Le simple fait d’utiliser un code secret resserre la connivence entre ceux qui le connaissent, et inversement par l’incompréhension entretient une distance avec les autres. "Qu’importe que vous ne me compreniez pas, nous ne sommes que de passage !... "
Une enquête est lancée sur la situation des petits ramoneurs en Savoie et Haute-Savoie. H. Dieu, préfet de la Savoie, reçoit un rapport accompagné de diverses suggestions. C’est le 15 janvier 1863 qu’il réglemente par arrêté l’apprentissage et les contrats des enfants. Ni les filles, ni les garçons de moins de 12 ans ne pourront être engagés.
Puis enfin, les lois françaises de 1874 et de 1892, relatives à l’emploi des enfants, découragèrent les maîtres ramoneurs à employer tous ces pauvres enfants en bas âge et les obligèrent à changer leurs méthodes de travail.
Avec eux ont disparu ces migrations savoyardes, qui néanmoins survécurent quelques temps encore de l’autre côté des Alpes, chez nos voisins Piémontais.