10 - La CROIX-ROUSSE, brève histoire :   A la veille de la révolution.

 

 

Une nouvelle année commence et le Gone reprend le clavier pour la suite de notre histoire ! Espérons au moins que cette année 2006 sera moins dure que celles que vécurent nos ancêtres au temps de la grande Révolution Française !

Vous l'avez remarqué, je ne peux pas regarder ce qui se passe à la Croix-Rousse en faisant abstraction de ce qui se passe à Lyon, la grande ville voisine, mais aussi parfois de ce qui se passe en France… N' est-ce pas assez normal si nous voulons essayer de comprendre l’ambiance dans laquelle vivaient les contemporains des Pentes et du Plateau ?                             

Au XVII°, XVIII° siècle Lyon connut les misères communes à toutes les villes :

- Les épidémies, non seulement la grande peste de 1628-1629 qui marqua à juste titre la mémoire collective : il y eut 50.000 morts (le Plateau bien aéré, fut épargné), mais aussi les maladies, comme la typhoïde, dues aux conditions d'hygiène assez précaire, la Saône étant à la fois égout et lieu de baignade, le puit jouxtant les latrines dans les cours des maisons.

- Les disettes dues à certaines  conditions climatiques particulièrement défavorables n'étaient pas rares même si les Greniers d'Abondances régularisaient la distribution des grains. Ainsi le terrible hiver de 1709 fit perdre à Lyon 18.000 habitants. !

 

Les registres des sépultures témoignent de tous ces malheurs.

Mais au cours des XVII° et XVIII° siècles il y eut  aussi à Lyon de belles années, des années de bonne conjoncture économique comme l’on dirait aujourd’hui.

 

L'économie lyonnaise était dominée alors par l'industrie de la "Grande Fabrique" des étoffes d'or, d'argent et de soie. Cette activité fournissait du travail et donc de quoi manger à la majorité de la population de la ville.

 

Et cette industrie s' était développée avec l'évolution des techniques :

Octavio Mey (baptisé à St Paul le 20/03/1618) avait inventé le lustrage de la soie,

Honorat avait créé une tréfilerie d' or, à partir de lingots on fabriquait le fil d'or avec cette machine appelée "argue" (le passage de l'Argue trouve là son origine).

 

Blanchat avait mis au point  la fabrication des crêpes (le tissus, pas le matefaim !),

Fournier avait importé d'Angleterre la façon des bas de soie (on  trouve beaucoup de fabricants de bas dans les registres),

Claude Dangon (mort de la peste en 1631) avait inventé le métier à grande tire qui permettait de tisser des “façonnés“ et plus seulement des “unis“ et l’on pouvait ainsi rivaliser avec la concurrence italienne .

 

L'organisation de la Fabrique était basée sur le couple indissociable maîtres marchands – maîtres ouvriers. Les maîtres marchands n'ont pas de métiers, mais détiennent les capitaux, ils fournissent la soie et les dessins aux maîtres ouvriers qui travaillent pour eux à façon, et reprennent pour la vente les étoffes fabriquées. Le maître ouvrier est un artisan libre, qui travaille avec sa famille, un compagnon, un apprenti, sur un ou deux métiers qui lui appartiennent. Depuis 1745, il ne peut plus y avoir de maîtres fabricants indépendants du système de la Fabrique et ayant le droit de vendre directement la production de leurs métiers.

 

Mais si des tensions inévitables et conflictuelles existaient et s'exprimèrent souvent entre marchands et fabricants, les uns et les autres savaient que leur collaboration était finalement indispensable à leur mutuelle prospérité, ils étaient soumis à un mariage forcé. Aussi les extrémistes lyonnais de la Révolution, comme nous le verrons bientôt, ne parviendront pas à entraîner derrière eux les ouvriers en soie. Ces ouvriers revendiquaient une augmentation du tarif de leur production, mais aucunement une suppression du système de la Fabrique.

 

Ainsi dans ce que l'on a appelé "l'émeute des deux sous" : Le 7 août 1786, les ouvriers en soie réclamaient une augmentation de deux sous par aune (1,188 mètre) de tissus, augmentation promise depuis deux mois. A leur tour, les chapeliers réclamèrent une augmentation du prix de la journée de travail. La grève ébranla la Fabrique, des ouvriers originaires des campagnes avoisinantes regagnèrent leur pays, les marchands fabricants prirent peur, le Consulat fit appel à l'armée qui mit fin  à cette émeute. Trois meneurs furent pendus le 12 août, le tarif fut supprimé le trois septembre.

Cette question du “tarif“ sera récurrente, nous le verrons… mais maintenant, à  la veille de la Révolution, la condition matérielle des canuts n’était pas des meilleures et s’était bien dégradée. En effet, à partir de 1787, la crise de la soie sévissait à Lyon, les maîtres marchands n'ont plus de travail à donner aux ateliers des canuts. En octobre de la même année, la plupart des 15.000 métiers sont à l'arrêt, le chômage et la misère sévissent.

 

Certes la colline de la Croix-Rousse n’était pas encore le quartier des canuts. Comme nous l'avons vu à la fin du chapitre 5, seul un petit nombre de maîtres ouvriers en soie s'étaient installés le long de la Grande-Côte, le reste des pentes étant "gelé" aux mains des religieux. Les canuts étaient surtout à Saint George et à Bourgneuf (1),  même si en cette fin du XVIII° ils commençaient à s’installer  au Sud Est des Pentes (quartier du Griffon) et à la Guillotière (quartier du Plâtre)(2).

Remontons maintenant sur le Plateau en passant par l'octroi de la porte Saint Sébastien.

 

Et je laisse ici la parole à Jean Pelletier (dans "Connaître son arrondissement, le 4°") :

 

«  A la fin du XVIII°, le système féodal est remplacé, peu avant la Révolution, par celui des assemblées élues. En premier lieu, en application du règlement de Sa Majesté du 31 juillet 1787, se crée une assemblée municipale de la paroisse de Cuire la Croix Rousse. La création de cette assemblée est consignée dans le premier volume des comptes-rendus du conseil municipal de la Croix-Rousse. La séance se tint au domicile du seigneur, Boulard de Gattelier, le dimanche24 février 1788 après "vespres". D'après le registre, 108 membres de la commune se trouvaient présents, ce qui donne une idée de la population du faubourg. Ils élisent un syndic en la personne de Claude Charton, négociant âgé de 48 ans, assisté entre autres par Neyret, de la Poix de Fréminville et Burzy. »

 

En plus des membres élus, ce premier conseil municipal comprenait comme membres de droit Simon-claude Boulard de Gatellier, seigneur du lieu, et Jean-Jacques Legay, curé de la Platière.

 

Cette administration communale va se maintenir jusqu’en 1793. Mais  il faut reconnaître qu’elle est  bancale par suite d’un déséquilibre et de rivalités entre le village rural de Cuire et le Faubourg de grande ville qu’est déjà la Croix-Rousse dont la population a bien augmenté. Les habitants de la Croix-Rousse traitent Cuire de Hameau, et les commerçants regardent de haut la population agricole de Cuire. C’est ainsi que le desservant de Cuire écrivit que ses paroissiens « habitants d’un village où l’unique préoccupation est de cultiver la terre, où les goûts de la ville n’ont pas heureusement pénétré, où les mœurs sont encore et continueront d’être pures, demandent à n’ être point mêlés en des lieux et des corporations d’hommes à qui l’avoisinement des villes a fait contracter des habitudes différente de celles des village ». Cette citation trouvée dans le livre de J. Barre, montre bien l’évolution du bourg de la Croix-Rousse depuis son passé rural.

La municipalité de Cuire la Croix-Rousse, outre la gestion des différents entre les deux communautés aura bien d’autres soucis : l’entretien des chemins, en particulier le chemin de Serin et la montée de la Boucle, la gestion de l’eau, la répartition des impôts nouveaux, la défense des privilèges du Franc-Lyonnais de plus en plus contestés par les autorités lyonnaises, la représentation du Franc-Lyonnais aux états généraux consentis par Louis XVI (acteur malheureux  des changements  exigés par  l’époque), la rédaction des doléances…

 

Voici, par exemple, une expression de la municipalité :

 

« La prochaine assemblée des Etats Généraux étant considérée, Messieurs, comme un bienfait du Roi pour tous ses sujets, la Municipalité de Cuire-la-Croix-Rousse ne peut-elle pas, dans une circonstance aussi intéressante, élever la voix pour faire entendre de justes doléances ? N’a-t-elle pas droit à la bonté et à la justice du Souverain ? Le Franc-Lyonnais, dont le bourg de Cuire-la-Croix-Rousse fait une partie considérable, a des privilèges  et franchises qui ont été reconnus de tous les Rois de France, depuis que cette petite Province s’est mise sous leur protection et sauvegarde. Ces privilèges et franchises ont été, Messieurs, attaqués et les coups qui leur ont été portés frappent principalement la paroisse de Cuire-la-Croix-Rousse. Cette Municipalité s’alarme de crainte de les voir se perpétuer, si la Province n’est admise à avoir des Représentants aux Etats-Généraux pour y solliciter la restitution de tous ses droits légitimes et les faire sanctionner par eux à l’effet d’en jouir à perpétuité et sans trouble ».

 

Le Franc-Lyonnais finira par obtenir des représentants aux Etats-Généraux, mais n’étant pas du lieu, ceux-ci ne le défendront pas !

 

Pour ceux qui voudraient en savoir plus, il y a un site très intéressant à l’adresse suivante :

http://minilien.com/?Kw7XdtszQc

 

Le Gone vous dit à bientôt  pour la suite !


(1) Bourgneuf, c'est le quartier, sur la rive droite de la Saône au  sud de Vaise jusqu'à SaintPaul, que traverse actuellement, le quai  Pierre-Scize. Autrefois le bord de Saône était là très différent. Il  n'y avait pas de quai, mais une rue étroite entre deux rangées de  maisons, celles au bas de la pente de Fourvière, comme aujourd'hui,  et celles, les pieds dans l'eau, construite au bord de la rivière. 
Par un arrêté du 6 pluviose an II (25 janvier 1794), la Convention  fait démolir 143 maisons du bord de Saône, une chaussée provisoire  est alors ouverte sur les décombres, mais il faudra attendre 1811  pour que soit construit le quai.

(2) Le Plâtre était le nom donné, à l'époque, au quartier de la Place  du Pont à cause d'un    four à chaux qui se trouvait là au bord du  Rhône où débarquaient des bateaux amenant la pierre calcaire.