12 - La CROIX-ROUSSE, brève histoire : 1793, l' "Année Terrible".

 

 

Nous y arrivons chère Josiane !

 

Lyon n'avait pas mal accueilli la Révolution à ses débuts. Le 30 mai 1790 la fête de la Fédération sur la plaine des Brotteaux fut une réussite et l'ensemble de la ville était prête à accompagner les réformes dans le sens d'une monarchie constitutionnelle. Mais un certain nombre de décisions et d' événements d'une Assemblée allant se durcissant, vont peu à peu prendre l'opinion du plus grand nombre à rebrousse-poil de ses convictions profondes.

 

Les tracasseries de plus en plus violentes que subissaient les prêtres réfractaires au serment constitutionnel, le remplacement de l'Archevêque par l' abbé Lamourette, celui  qui avait collaboré avec Mirabeau à la réforme du clergé, la spoliation des biens d'Église renforcent l'hostilité des catholiques.

 

La ville rassemblait aussi un bon nombre de royalistes lyonnais ou réfugiés. Ils avaient rêvé un temps, de faire venir le Roi à Lyon qui leur semblait plus sûr que le Palais des Tuileries de Paris. L'arrestation, le procès et l'exécution du Roi (le 20 janvier 1793) vont en faire de farouches opposants à la Convention Nationale.

 

D'autre part, comme nous l'avons vu, les marchands négociants et les ouvriers tisseurs n'étaient pas du tout enclins à casser le système de la Fabrique, même si, à l'intérieur de ce système, ils s'opposaient, ils avaient trop besoin les uns des autres.  Les incitations de Conventionnels purs et durs comme Chalier, au soulèvement des ouvriers contre les maîtres, même et peut-être surtout en période de crise économique, ne trouvaient qu’un faible écho et même de la réprobation.

 

Cet ensemble très divers est alors prêt, pour des motifs différents, à entrer dans un affrontement violent contre le pouvoir central parisien à la première étincelle et cette étincelle s' appellera Chalier que seuls les plus démunis et les miséreux, ceux qui n'avaient rien à perdre, seront prêts à suivre.

 

Marie-Joseph CHALIER, fil d'un notaire de Briançon, naquit en 1747. Il vint à Lyon pour y faire ses études et devint instituteur puis commerçant en soieries. Il habitait rue Confort  (et à partir de 93, il montait tous les soirs pour surveiller la construction de sa maison de campagne à la Croix-Rousse, vers l'hôpital actuel). 

Il fut élu en 1790 dans la première municipalité lyonnaise assez modérée, et devint officier municipal.

Après un séjour à Paris où il fut conquis par Marat qui n'était pas précisément un tendre, il rentra à Lyon en août 1792 avec les idées extrémistes des Jacobins les plus durs, ceux que l'on appelle à l' Assemblée les Montagnards, car ils étaient placés sur les tribunes. 

Orateur violent, Chalier préconisa, le 6 février 1793, l'installation de la guillotine sur le pont Morand afin que les têtes tombent directement dans le Rhône ! 

Au printemps de la même année, avec ses amis, il s'empara, pendant 80 jours, de la Municipalité de Lyon. Il voulait instaurer un régime de terreur dans cette ville qu'il jugeait réactionnaire.

Mais, fin mai, Lyon qui refusait d'être placé sous surveillance jacobine, manifeste, demande la destitution de la municipalité et l'arrestation de Chalier et de ses amis.

Chalier est arrêté, jugé et condamné à mort le 15 juillet 1793. Le 16, il est guillotiné.  Je passe sur cette exécution particulièrement macabre et atroce par suite d'un mauvais fonctionnement de la guillotine !…

 

Mais, au même moment, à l'Assemblée Nationale, les "Montagnards" prenaient le pouvoir aux dépens  des "Girondins", c'était, au sein de la Convention le triomphe des purs et durs sur les modérés et, à Paris, l'instauration de la Terreur.

Lyon, comme souvent au cours de son histoire, se trouvait donc à contre-courant du pouvoir central. Ce fut à la fois sa gloire et sa faiblesse !

Notre ville faisait alors figure de contre-révolutionnaire et la Convention assimila le soulèvement lyonnais à la révolte des vendéens. Le mouvement lyonnais était intolérable. Il fallait donc à tout prix sauver l'unité et l'indivisibilité de la République, et cela allait se faire dans le sang… Chalier, quant à lui, devenait un martyr !

 

Le 7 août commença le siège de la ville par l'armée des Alpes commandée par le général Kellermann. Mais Lyon n'avait pas attendu pour organiser sa résistance et dès le 8 juillet, les autorités avaient choisi le Colonel  de Précy, un royaliste de Macigny (71), pour organiser et commander l'armée lyonnaise. A partir de Sainte Foy et de la Duchère, de Villeurbanne et de la Guillotière, et enfin des hauteurs de Cuire, leur camp principal,  les assiégeants bombardent la ville à boulets rouges pour l' incendier,.

 

Sur le plateau de la Croix-Rousse, les remparts étaient un lieu stratégique important. Une batterie installée au début de la Grande Rue de Cuire tint en échec les canons de Kellermann pendant 15 jours !  C’est là  que le sang coula pour la première fois. Le 29 septembre, au cours d'un bombardement,  l'abbé Rozier, le curé de Saint Polycarpe dont nous avons déjà parlé, fut tué dans son lit.

 

Fin septembre Kellermann, jugé peu entreprenant, fut remplacé par le général Doppet qui décida de donner l'assaut. Le 9 octobre, après de sanglants combats, la ville fut prise et le 12 la Convention décrèta ce ci :

Article I : Il sera nommé par la convention Nationale, sur la présentation du Comité de Salut public, une commission extraordinaire composée de cinq membres pour faire punir militairement et sans délai les contre-révolutionnaires de Lyon.

Article II : Tous les habitants de Lyon seront désarmés. Leurs armes seront distribuées sur le champ aux défenseurs de la République. Une partie sera remise aux patriotes de Lyon qui ont été opprimés par les riches et les contre-révolutionnaires.

Article III : La ville de Lyon sera détruite, tout ce qui fût habité par le riche sera démoli ; il ne restera que la maison du pauvre, les habitations des patriotes égarés ou proscrits, les édifices spécialement employés à l' industrie et les monuments consacrés à l'humanité et à l'instruction publique.

Article IV : Le nom de Lyon sera effacé du tableau des villes de la République. La réunion des maisons conservées portera désormais le nom de ville affranchie.

Article V : Il sera élevé sur les ruines de Lyon une colonne qui attestera à la postérité les crimes et la punition des royalistes de cette ville avec cette inscription :

"Lyon fit la guerre à la liberté; Lyon n'est plus."

 

La terreur s'installe et pendant six mois, deux mille personnes de tous rangs et de toutes conditions sont dénoncées contre de l'argent, emprisonnées, jugées sommairement et exécutées dès la sentence prononcée.  Parmi les victimes de cette sauvage répression, on voit des Nobles et des prêtres des religieux et des religieuses, des militaires, des médecins des hommes de loi et des notaires, de riches marchands, de simples artisans comme des ouvriers en soie, ou encore d' humbles affaneurs. Le grand architecte, Jean Antoine Morand, fut guillotiné le 24 janvier 1794 (Cf. le Gone dans brève histoire de la Guillotière). La lecture des listes de condamnés donne une bonne idée de la composition sociale de notre ville en 1793.

Les prisons sont pleines : On enferme dans les caves de l'Hôtel de Ville, dans la prison de Roanne (vieux Lyon), dans la prison Saint Joseph (presqu'île au niveau des Jésuites), aux Recluses (ancienne maison des filles repenties, vers Saint François)…

La guillotine de la Place des Terreaux n' abonde plus… Des condamnés sont mitraillés au canon sur la plaine des Brotteaux, par groupes entiers…

 

Les destructions des maisons ordonnées par la Convention seront en fait plus symboliques. Il n'était d'ailleurs pas possible d'appliquer le décret à la lettre, les maisons étant mitoyennes en détruire l'une condamnait aussi l'autre. Les deux belles façades Est et Ouest de la place de la Fédération (Bellecour), ainsi que les remparts de Saint Just, la prison de Pierre-Scize  seront certes démolies comme des symboles de l'ancien régime… Mais la grande foule des chômeurs du temps sera surtout employée à dégager les ruines provoquées par les bombardements et aussi à des démolitions d' urbanisme, comme celles des maisons de Bourgneuf situées entre la Saône et la rue, afin de créer une large voie…

 

Comme si ces représailles n’étaient pas suffisantes, la "ville  affranchie" (il faudra attendre la mort de Robespierre (27 juillet 1794) pour que notre ville retrouve son nom), n'avait même pas de mairie centrale et son administration (futur casse tête des généalogistes) fut divisée en trois : les Mairies de Lyon Nord, Midi et  Ouest.

 

Pour enlever encore de l’importance à notre ville, le département de Rhône et Loire créé en 1790, fut divisé en deux !  Lyon n’était plus que le chef-lieu du petit département du Rhône… Feurs puis Montbrison devenait préfecture de la Loire jusqu’au premier janvier 1856, date où Montbrison céda la place à Saint Etienne.

Je remarque que la limite avec la Loire était assez arbitraire, Tartaras, par exemple, faisait une espèce de hernie dans le Rhône parce que cette commune possédait des mines que la Loire voulait garder !

Bref, l'humiliation de Lyon était totale.

  

A la Croix-Rousse, toutes les propriétés des nobles furent confisquées tant le long des  pentes que sur le plateau.

Les évènements de 93 consacrèrent la scission entre Cuire et le Faubourg. Les gens de Cuire avaient accueilli les assiégeants tandis que les croix-roussiens avaient pris le parti de Lyon. Aussi la Convention reconnaissante rattacha Cuire à Caluire selon le souhait de ses habitants, tandis que la Croix-Rousse devenait (24 brumaire an II) la "Commune Chalier" !

Un comité révolutionnaire fut mis en place, toutes les croix de la commune furent remplacées par des arbres de la liberté que l'on déterra de la propriété de la Belle Allemande, les cloches et tous les métaux furent récupérés pour faire des canons, des pommes de terres furent achetées dans les communes voisines, les maisons des "contre-révolutionnaires" furent mises sous séquestre et gardées, l’église Saint Augustin fut transformée en temple de la Raison.

 

Mais le faubourg, s'il partageait l'humiliation de la Ville, ne fera pas un long usage du nom hérité du célèbre sans-culotte, "nouveau saint" de la Convention, moins d'un an plus tard, il s'appellera de nouveau "Croix-Rousse" sans que le pouvoir central ne s'en émeuve.

 

Voilà… J'espère que l'évocation de ces événements, durant lesquels  certains d'entre nous ont perdu des ancêtres, ne vous a pas trop assombris : Les histoires du Gone ne sont pas toujours drôle !

Dans le prochain chapitre, nous verrons l’évolution des quartiers de la colline jusqu’en 1852.

D'ici là tâchez moyen de garder la tête sur vos épaules.

 

Le Gone