18 - La CROIX-ROUSSE, brève histoire :  Les équipements du faubourg.



 

Bonjour !

Nous avons beaucoup parlé des rues et aujourd'hui je voudrais aborder quelques questions importantes dans ce quartier qui connut le développement démographique que l’on sait et il s’agira de l'eau, des écoles et de l’équipement sanitaire.

 

Pour la question de l’eau, question vitale s’il en est, nous avions vu, en commençant cette trop longue “Brève Histoire de la Croix-Rousse“,  que le plateau était un lieu assez sec et dépourvu de sources. Les premiers habitants avaient creusé des puits et des boutasses, ce qui alors était suffisant pour leurs besoins domestiques et l’arrosage des légumes qu’ils cultivaient. Mais  ces points d’eau ne pouvaient plus faire face aux besoins  de la nouvelle population, même si on buvait beaucoup de vin et ne se lavait que sommairement !…

 

On ne connaissait pas les douches bien sûr, sauf en cas de “radée“ (averse violente dans notre langue locale). Il n’y avait pas plus de chasses d’eau dans les toilettes, toujours reléguées, par mesure d’hygiène, au fond des jardinets ou sur les paliers des nouveaux immeubles (Jacob Delafont, ce bienfaiteur de l’humanité n’avait pas encore sévi… alors bonjour les effluves et bienvenue les mouches !). Il y avait peut-être déjà des pierres d’évier dans les coins cuisines,  mais pas de robinet, l’eau n’était courante que dans les caniveaux quand il pleuvait assez !

Il faut dire que la solution à ces problèmes d’hygiène n’était pas la chose la plus urgente et devrait attendre encore pas mal d’années… La chose urgente, c’était d’ installer des bornes-fontaines.

Installer des bornes-fontaines, c’était facile à dire, mais alimentées par quelle eau et une eau acheminée comment ?

Des études avaient été faites pour monter l’eau du Rhône, réputée potable puisque claire (on ne connaissait pas encore les microbes et autres bactéries, Louis Pasteur était à peine né, et comment craindre ce que l’on ne soupçonne même pas !).  Il s’agissait, à partir de puisards, de pomper l’eau du Rhône à l’aide de machines, afin de remplir un réservoir situé 150 mètres au-dessus.

A Perrache,  les frères Seguin construisaient justement de tels béliers à eau. Mais voilà, ces installations avaient un coût qui dépassait bien les moyens de cette  municipalité qui avait très peu de ressources, même après avoir tenté de prélever une taxe sur le vin… mesure dont je vous laisse imaginer la popularité, car du vin, on aimait en boire et cette taxe, c’était pire que de devoir mettre de l’eau dans son vin !

Jean Pelletier nous donne quelques chiffres que j’ai trouvés bien intéressants :

« L’eau était évidemment gratuite pour les usagers des bornes-fontaines, mais le devis des travaux s’élevait à 100.000 francs dont 20.000 pour les puisards et 9.600 pour les machines élévatrices, le reste pour les conduites et le réservoir de la rue des Gloriettes. Les frais annuels de maintenance étaient estimés à 5.000 francs dont 1/3 environ pour le paiement du combustible : 78.400 kilos (quelle précision !) de charbon de terre venant de Rive de Gier. »

et Jean Pelletier poursuit :

« Finalement, un traité fut signé  avec une compagnie concessionnaire : Peillon et Lenoir, à la fin de 1851. Elle réussit à fournir 7 litres d’eau par jour à 80% de la population du plateau…

Les 200 m3 stockés n’alimentaient évidemment pas les maisons  mais des bornes-fontaines auprès desquelles on allait s’approvisionner. Ces bornes, d’abord au nombre de 18 puis de 22, étaient toutes situées à l’est de la rue de Cuire. »

(Jean Pelletier dans “Connaître son arrondissement, le 4°“ p. 34)

 

Mais une fois que l’eau était arrivée à la borne-fontaine, il fallait encore la charrier et la monter dans les étages : Je vous avais bien dit que les “anciens“ étaient sportifs sans le savoir ! 

7 litres d’eau en moyenne par jour et par personne… Je pense que cela peut donner à penser à tous ceux, qui comme le Gone, aiment imaginer les conditions de vie de leurs ancêtres !

Et il faudra attendre la construction de l’Usine des eaux de Saint Clair et le château d’eau de Montessuy, en 1850 pour que les choses s’améliorent (Voir dans les archives : le Gone  « Le quartier Saint Clair, quelques notes »)…

 

Et le lavage du linge ?  me demande ma Fenotte qui n’est pourtant pas la mère Denis ! Certes cela devait bien se poser, et ce n’est pas avec 7 litres d’eau par personne que l’on pouvait alimenter des lavoirs… Mais puisque la Croix-Rousse était entre deux fleuves et que l’on n’y craignait pas sa peine,  il n’y avait qu’une solution : Mettre le linge sale dans une grande corbeille en osier, poser le tout sur une brouette ou une charrette et  descendre à la “plate“ !

 

En effet, un lyonnais du nom de Besson, astucieux, comme le sont en général les lyonnais, avait inventé les “plates“, cette espèce de bateaux plats et carrés, sur un côté desquels pouvaient prendre place une dizaine de femmes, les “platières“. Là,  à l’abri d’un toit en terrasse, elles  lavaient le linge dans l’eau froide puisée directement dans la rivière, oui à l’eau froide ! et il faudra attendre la fin du XIX° pour qu’une chaudière soit installée sur le toit de ces “plates“, pour produire de l’eau chaude… car on n’arrête pas le progrès !

Les étrangers, eux, disaient “bateau lavoir“, nous les gones nous disions “plate“ et n’était-ce pas plus joli ?   Mais voilà, avec l’eau qui passe inexorablement sous les ponts, nos plates ont disparu… et il ne reste plus que le  “Théâtre de la Plate“ installé sur les Pentes, pour  nous rappeler ce mot !

 

Quant à l’éclairage, on ne connaissait que la bonne vielle chandelle !   L’ingénieur chimiste français, Philippe Lebon avait inventé le gaz d’éclairage depuis 1787, mais sa découverte ne fut exploitée pour la première fois qu’en 1805 à Londres et 1829 à Paris…  alors à Lyon et qui plus est à la Croix-Rousse,  on devait encore attendre !...  L’usine à gaz sera construite sous le second empire et bien sûr à Perrache où l’on installait alors tout ce qui pouvait présenter quelque désagrément ou danger : arsenal, gazomètres, prisons, abattoirs… Quel beau quartier !

 

Pour ce qui est des écoles, commençons par laisser la parole à Jean Pelletier dans l'excellent "Connaître son arrondissement, le 4°" (p.33).

«Les équipements publics suivent tant bien que mal l’augmentation de la population. Les écoles, dont l’enseignement est assuré par des religieux (Frères des Ecoles Chrétiennes et Sœurs de Saint Charles) et les enseignants laïcs qu’ils emploient, sont subventionnées par la commune ; la scolarisation, convenable, se marque par le degré, élevé pour l’époque, de l’instruction des canuts. En 1841, il existe 9 écoles (4 pour les filles, 4 pour les garçons, une pour les adultes). Deux sont à Serin, trois à Saint-Clair, les autres place de la Visitation (Bertone), rue Saint-Denis près de l’église et rue de Cuire. »

 

Cette avance de la Croix-Rousse pour la scolarisation ne datait pas de ce jour, nous avions vu  (chapitre  9) qu’au XVII° déjà, le plateau avait accueilli des “petites écoles“ de Charles Démia. Et nous verrons bientôt que le bon niveau d’instruction ne sera pas neutre dans l’évolution de la conscience de classe des canuts de la Croix-Rousse qui s’exprimera au cours des  soulèvements dont ils auront l’initiative. Ne savait-on pas, depuis la Révolution au moins, que le savoir pouvait conduire au pouvoir  et que ce dernier n’était plus héréditaire ?

 

 

Avant de terminer ce chapitre, histoire de rester en bonne santé, il me faut dire un mot de l’équipement pour les soins médicaux. D’après l’annuaire Fournier, comme le note Jean Pelletier, il y avait en 1846,  25 médecins, ce qui était très bien.

En revanche, pour toute hospitalisation, il fallait que les gens de la Croix-Rousse aillent à l’Hôtel Dieu. Certes ils étaient soignés aussi bien que les lyonnais, mais ces derniers avaient tendance à les traiter de parasites :  “Pensez, ces gens du faubourg qui ne paient pas nos impôts et qui profite de notre hôpital !“…  Il est vrai que traditionnellement à Lyon, question argent, on est assez susceptible… et puis les faubourgs, ce n’est pas quand même pas  Lyon. Mais ici je me garderai bien de prendre exemple dans l’actualité et de soupirer : “la banlieue… déjà“ !...

 

Voilà, le Gone ne vous a sans doute rien appris… mais, en  “généalogie vivante“,  ne faut-il pas sans cesse nous remettre en mémoire les conditions de vie de ceux qui nous ont précédés pour que tout prenne relief ?

 

A vous revoir mes belins, permettez que j’embrasse toutes les belines avant de nous séparer.

 

Peut-être pas avant vendredi que vient (le vendredi c’est un jour de pénitence !).

Nous essayerons de voir que nos canuts de la Croix-Rousse n’étaient pas toujours des gens prêts à accepter le sort qu’on voulait leur réserver et qu’ils ont eu bien des occasions de se soulever… mais pour ça il faut que je potasse un peu mes livres !

 

Le Gone.

 

La CROIX-ROUSSE, brève histoire 18/2 :   2 notes complémentaires 

 

Je voudrais simplement revenir, à propos des équipements de la Croix Rousse dans la première moitié du XIX°, sur deux points particuliers :  L’éclairage public et l’état des rues.

 

1) En ce qui concerne l’éclairage public, voici ce qu’écrit Josette Barre dans  “La colline de la Croix-Rousse“ p.103 :  (Cela corrige et complète ce que j’écrivais plus haut…)

 

« Si l’eau a manqué aux Croix-Roussiens pendant toute la première moitié du XIX° siècle, l’éclairage des rues était tout aussi défaillant malgré quelques efforts. Sur les Pentes, la situation est un peu meilleure, car la municipalité lyonnaise a traité, dès 1841, avec la Compagnie de l’éclairage au gaz public de Perrache qui a dotté de réverbères le quai du Rhône jusqu’aux fortifications et des rues situées au bas et au milieu des Pentes sud-est. En 1846, la concession augmentée procure des réverbères au gaz au quartier des Chartreux, au chemin de la Butte, à la partie supérieure de la montée des Carmélites et du coteau sud-est, à l’exclusion du clos Riondel non encore reconnu par la Ville. En 1841, la Croix-Rousse n’ a encore que des réverbères à huile parcimonieusement distribués. La Compagnie Lespinasse propose d’installer un éclairage au gaz. Dans ce but, elle construit un gazomètre fonctionnant à la houille, au nord-est de la Grande Rue (ancienne rue du Gazomètre devenue passage Richan). A la fin de 1841, 28 réverbères au gaz fonctionnent :  6 sur le cours d’Herbouville, les autres dans la Grande-Rue et sur la place de la Croix-Rousse. Ailleurs, il n’y a que quelques mauvaises lanternes à huile ou pas  d’éclairage du tout… »

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          

2) Note sur l’état des rues.                                         

 

Nous avons vu que la Municipalité de la Croix-Rousse n’avait pas beaucoup de ressources, de plus, contrairement à sa grande voisine, elle préférait sacrifier le pavage et le drainage des rues ouvertes par les particuliers à la construction de la Montée de Serin et à l’aide sociale qu’elle dispensait aux nécessiteux. Aussi, contrairement aux Pentes, les rues du Plateau sont dans un état lamentable et repoussant de saleté. En effet, s’il n’y a pas de pavage, il n’y a pas plus d’égouts et les eaux de pluie et de fonte des neiges mélangées aux eaux usées jetées sur la voie publique forment des bourbiers pestilentiels, sans parler de la contamination des puits :  Oui, les notions élémentaires d’hygiène sont des notions relativement récentes !

 

Josette Barre, à ce sujet, cite quelques extraits d’écrits de l’époque, par exemple celui-ci :

« Toues les eaux de la rue du Mail, des rue et place de la Visitation s’écoulent dans le clos Pailleron où elles affluent parfois en si grande quantité qu’elles ont atteint l’automne dernier (1838) jusqu’à trois pieds (1 mètre) d’élévation. Le terrain étant un peu argileux, ces eaux séjournent, se corrompent, infectent ce nouveau quartier et celles qui ne peuvent  s’infiltrer se  jettent dans les puits dont, par la suite, les eaux se putréfient ; elles remplissent en outre les caves, et enfin détrempent la terre au point de faire craindre pour la solidité des constructions. »

 

Le Gone.