24 - La CROIX-ROUSSE, brève histoire : La Croix-Rousse de 1870 au XXI° siècle !



 

Plus de 130 ans en un seul message… Voilà que le Gone s’emballe !

Dans la dernière ligne droite, après ce long parcours,  aurait-t-il envie d’aller plus vite?

Comme un cheval un peu fourbu il a certes, bien quelques raisons de sentir l’écurie !

Mais il y a peut-être aussi une autre raison qu’il me faut expliquer : Nous allons assister à la disparition, de crise en crise, de nos chers canuts ; après la colline qui prie puis la colline qui travaille notre Croix-Rousse va risquer de devenir la colline qui dort … Alors, vous l’excuserez, mais le Gone n’a pas le cœur à s’appesantir trop longtemps sur cette dernière période !

Disons quand même quelques mots d’abord sur l’ évolution de ce qui a fait la gloire de notre colline : la soierie… et puis quelques mots sur la physionomie que la Croix-Rousse  a  fini de prendre pour nous apparaître  telle qu’elle est aujourd’hui.

 

Voyons les coups portés à la soierie et aux canuts, ils sont de plusieurs natures.

Il y eut diverses crises économiques. D’abord celle de 1870 à 1884 : en 1877 la moitié des métiers sont arrêtés. Puis celle de 1929-1930 provoquée surtout par la perte des débouchés à l’exportation. Jean Pelletier note que « En quelques années on assiste à un véritable effondrement : Michel Laferère évalue la perte du chiffre d’affaires de la soierie lyonnaise à 75% de 1930 à 1937. Durant la même période, le nombre des métiers diminue… et en 1954 il n’y a plus que quelques centaines sur le Plateau. Les ateliers sont convertis en logements pour les classes populaires, ce qui explique largement la faiblesse de la construction de 1830 à 1954. »

Josette Barre note de son côté que « en 1914, la colline compte six fois moins de métiers qu’en 1856. De nombreux tisseurs ont quitté leurs petits ateliers pour l’usine. Ce recyclage s’est fait sans bruit, sans révolte. »

 

D’autre part, si entre 1884 et 1929, la Soierie se maintient et demeure malgré tout la principale activité de la colline c’est parce qu’elle passe lentement de l’artisanat à l’industrie. Les ateliers familiaux sauront d’abord se mécaniser grâce à l’arrivée à partir de 1892 de l’électricité fournie par l’usine de Jonage à des tarifs préférentiels pour les canuts. Mais peu à peu ces ateliers seront relayés par des usines qui s’installeront surtout  en dehors de la Croix-Rousse, sur la rive gauche du Rhône mais aussi dans les campagnes du Rhône, de l’Ain, de la Loire où la main d’œuvre est moins chère et les ouvriers moins portés à la révolte (la délocalisation ne date pas d’aujourd’hui !). Dans ces usines, les canuts sont remplacés par des gens simplement chargés de surveiller les machines et c’est la fin du  fameux “savoir faire“, devenu désormais inutile.

C’est aussi le temps de l’arrivée de nouvelles matières premières qui, dans le tissage, entrent en composition avec la soie.  Même si les couleurs de l’ étoffe sont alors plus vives, la qualité n’est plus celle de la soie pure. 

D’autre part, Hilaire Bernigaud , comte de Chardonnet, chimiste et industriel, (1839-1934) invente la soie artificielle comme le rappelle le monument élevé à sa mémoire sur la place des Pentes qui porte son nom.

 

Cependant d’autres activités apparaissent, notamment celles des usines de teinture Gillet qui investissent la plaine de Serin, et recyclent nombre d’anciens canuts. (La famille Gillet fit construire en 1913 une belle villa, 25 rue Chazière. C’est l’architecte Folla qui en traça les plans. Cette maison est depuis 1976 propriété de la Ville de Lyon et la Région Rhône Alpes y a installé un centre culturel.)

D’ autres usines s’installeront encore plus tard, citons l’usine de tissage de nouvelles matières, Nanterne (ouverte en 1908, fermée en 1982) et puis dans les années 50, les usines Vial (électonique), Reulot et ACIR (métallurgie), Vignal (biscuiterie)… Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

 

Regardons maintenant quelques réalisations qui achevèrent la Croix-Rousse telle que nous la connaissons aujourd’hui.

 

La ficelle Croix-Paquet, dont j’ai déjà parlé, est mise en service en 1891, elle est remplacée maintenant par la ligne C du  métro.

Le boulevard des canuts est ouvert en 1957 sur l’ancien site de la voie ferrée vers Satonay qui avait été mise en service en 1863.

 

Divers établissements scolaires prennent aussi place dans le paysage :

Les groupes scolaires dus à la loi de Jules Ferry (9/8/1876), il y en a quatre : deux sur le Plateau, un à Serin, un à Saint Clair.

Mais aussi les deux écoles normales d’instituteurs (devenu IUFM), celle des garçons ouverte en 1885 sur un terrain de cultures maraîchères, c’est l’ oeuvre de l’architecte Marie-André Félix Bellemain, puis celle des filles, ouverte en 1887 sur l’ancienne propriété des Mazuyer de la Tourette dont il ne reste plus que le portail devant cette école construite par l’architecte Geneste.

En 1933 s’ouvre encore, sur le terrain des Chartreux, l’école de tissage, oeuvre de Tony Garnier, c’est aujourd’hui le lycée technique Diderot.

 

Et puis il y a les nouvelles églises. Saint Denis et Saint Polycarpe ne sont plus les deux seules églises de la colline : Saint Eucher, sur le versant oriental, avait été construite en 1842, Saint Bernard, au dessus de la place Colbert, entre 1859 et 1866, le Bon-Pasteur, au dessus de l’ancien Jardin des Plantes, entre 1876 et 1879,  ces églises sont aujourd’hui fermées, le culte n’y est plus célébré. Au XX° nous avons aussi l’église Saint Augustin (1910) rue Jacquard, la nouvelle église Saint Charles de Serin (1952), et enfin Saint Elisabeth (1964) rue Hénon.

 

Au  début du XX°, la  partie ouest du Plateau n’avait pas encore été très concernée par les constructions. Il y avait là de grandes propriétés et des terrains de cultures maraîchères, mais, peu à peu, vont s’implanter des logements à caractère social.

Ainsi à partir de 1910, sont créés d’abord plusieurs lotissements de pavillons à l’ouest de la rue Chazière.

Puis en 1921 la ville propriétaire de l’ancien clos des soeurs de Sainte Elisabeth, soit cinq hectares à l’ ouest de la rue Philippe de Lassale, cède  ce terrain à l’office municipal  des Habitations Bon Marché (H.B.M.) pour de nouvelles constructions.

Pour  desservir  ces immeubles, de nouvelles rues sont alors créées, elles portent toutes des noms d’hommes de la soierie : des inventeurs de métiers comme Dangon, Bouchon, Falcon, Galantier ou des dessinateurs de fabrique comme Picard, Pillement,  ou encore celui d’un grand fournisseur  de soieries, Pernon. (Pour toutes ces rues et les suivantes, voir la note.)

De 1928 à 1935, d’autres H.B.M. sont construits sur la partie Est de l’ancien terrain militaire du Clos Jouve et les rues Carquillat et Leroudier sont ouvertes. Le reste du Clos Jouve, paradis des boulistes, deviendra en 1954 le stade Roger Duplat. Je note, car c’est d’une importance historique capitale, que c’est là que le Gone, encore collégien, venait passer des épreuves sportives…

Ainsi peu à peu la population vient occuper l’ouest du Plateau, mais les transformations ne sont pas terminées…

 

Commencé pendant la guerre où il servit d’abri contre les bombardements, le fameux tunnel de la Croix-Rousse est inauguré le 20 avril 1952. Cela amène une transformation de Serin, mais consacre aussi un certain sommeil de la colline. On en traverse les profondeurs sans s’occuper de ce qui peut se passer en surface ! Le Plateau n’est plus un lieu de passage. Maintenant, seule la statue de Jacquard, muette au milieu de la grande place, témoigne du passé glorieux et surtout laborieux que nous avons essayé de redécouvrir… Le bistanclaque-pan s’est tu à tout jamais. Les anciens immeubles de Canuts se délabrent.

 

Cependant, dans ces années d’après guerre, la demande de logements est très forte, comme nous le savons, et les possibilités qu’offre encore la Croix-Rousse vont attirer les promoteurs. Plus que la “colline qui dort“ elle va devenir la “colline qui loge“, la colline résidentielle. Le caractère particulier de ces quartiers qui ont su, malgré tout, conserver leur âme, attire beaucoup de nouveaux habitants qui viennent d’un “autre monde“.

Les anciennes grandes propriétés qui se trouvaient au sommet des versants tant à l’est qu’à l’ouest vont l’une après l’autre succomber à l’offre des promoteur pour la construction de très hauts immeubles parfois de douze ou quinze étages. On détruit de très belle villas et, avec les appartements construits à leur place, on vend  à des particulier la “vue imprenable“ que l’on prenait, en fait, à tout le monde !

A l’est ce sont les immeubles qui longent la rue Louis Thévenet : Le Ventoux, le Belvédère, l’Esplanade.

A l’ouest, vers la rue Chazière, nous auront les Hêtres, le Tulipier, la Résidence d’Alincourt, les Hauts de Saône.

Ces noms ne font-ils par rêver ?

 

Quand il n’y eut plus de terrains à bâtir, on commença à détruire les anciens immeubles comme rue Vaucanson par exemple, mais heureusement on s’orienta, depuis, vers la rénovation des immeubles de canut. Tout en offrant des appartements qui ne manquent pas de caractère, une partie du patrimoine est ainsi sauvée !

 

Si la partie haute de la fameuse montée de la Grande-Côte n’a pas résisté au pic (ou plutôt au “bul.“) des démolisseurs réduisant allègrement en poussière des siècles d’occupation, il faut reconnaître que les jardins remplaçant des maisons devenues hélas des taudis, ne manquent pas d’agrément et procurent surtout une vue magnifique sur notre ville.

 

C’est en haut de cette esplanade, alors que nous découvrons le vaste panorama, que le Gone s’éclipse, comme pour abréger le temps venu d’une séparation, après tous ces parcours qui ont duré plusieurs mois…

Si vous tendez un peu l’oreille, vous remarquerez que le  “à la revoyure“ qu’il vous adresse n’est pas sans émotion, car s’il y aura, peut-être, d’autres visites et d’autres découvertes, la ville qui s’étale à nos pieds est si vaste… elles ne seront plus sur la colline des canuts !  (Sous la carapace rugueuse du Gone, n’y aurait-il pas un tendre ?).

 

Le Gone.

 

NOTE :     (D’après Maurice Vanario et Henri Hours)

 LA SALLE  Philippe de, dessinateur et mécanicien  (1723-1804)

CHAZIERE Jean  (1821-1885) Clerc d’Avoué lyonnais qui laissa son hériage à la Ville.

DANGON Claude, inventeur en 1605 du métier “à la grande tire“.

BOUCHON Basile, ouvrier en soie, inventeur au XVIII° du métier à aiguilles.

FALCON    Inventeur du métier “Falconne“ au XVII°

GALANTIER    Inventeur du métier “à la petite tire“ ou “au bouton“ (1687)

PICARD  Pascal Joseph, dessinateur de fabrique  1748-1808)

PILLEMENT Jean, peintre de la Ville   (1728-1808)

PERNON  Camille, fabricant de soierie (1753-1808)

CARQUILLAT Michel Marie, Maître tisseur renommé (1802-1884)

LEROUDIER  Marie Anne  (1838-1908) , artiste en broderie, épouse d’un dessinateur, elle dirigea avec sa fille le premier cours municipal  de broderie.