5 - La CROIX-ROUSSE, brève histoire : De la RENAISSANCE à la RÉVOLUTION
(suite)
Bien le bonjour les gones !
Courage, nous n'en sommes qu'au XVI° siècle !
C'est l'époque où Saint-Sébastien devient la Croix-Rousse et où notre colline commence à être habitée.
J' ai eu le plaisir de consulter, à la section ancienne de la Bibliothèque municipale, une version du plan scénographique dont l'original date des environs de 1550 : C'est une merveille !
(voir : http://www.archives-lyon.fr/old/public/plan-s/cs2.html) Sur ce plan, nous devinons bien la Grande Côte, prolongée par ce qui deviendra la Grande Rue. Ce sera pour longtemps l'axe de la colline et, jusqu'en 1750, la seule voie importante pour gagner la Dombes, la Bresse, la Franche-Comté et plus loin l'Allemagne et la Suisse. Cette route est une voie toujours très fréquentée.
La rue des Pierre Plantées n'est alors que la portion supérieure de la Grand'Côte. Elle devra son nom aux bornes qui empêcheront ici, au XIX°, la circulation des voitures. Il y avait du y avoir quelques carambolages dans la descente !
C'est le long de la Grand'Côte que s'élèvent les premières maisons. Ce sont des maisons qui, d'abord, ne dépassent pas deux étages.
Le reste des pentes est encore occupé par quelques grosses maisons et surtout par les vignes et par des champs ou des clos plantés d'arbres.
Le Plateau, lui, n' a encore que peu de maisons le long des chemins bordant les champs. La voie principale traverse les terres à blé de la famille Paquelet. Ce sont les plus gros propriétaire du temps, ils ne détiennent pas moins de trente hectares au centre du Plateau.. Pierre Paquelet était maître des bouchers de Lyon, son fils Claude était drapier et bourgeois de la ville. En un demi-siècle, ils avait acquis les domaines de Pierrebrune et du Saugey situés entre la rue de Cuire, alors chemin, et la rue de Belfort actuelle, qui s'est appelée aussi rue du Chapeau-Rouge. (Curieusement il y eut aussi une rue du Chapeau-Rouge à la Guillotière et il y en a encore une à Vaise : Cette appellation que nous retrouvons dans les trois faubourgs, provient peut-être d'enseignes d'auberge, mais il ne s'agissait certainement pas d'une chaîne type Mac Donald ! )
Cependant un petit hameau se situe au carrefour du chemin principal (Grande Rue) et du chemin qui plongeait vers le Rhône (Montée de la Boucle, antérieurement chemin de la Combe d'Echery. Quelques maisons basses se regroupaient là autour d'une croix de pierre d'un jaune roux comme l' est la pierre de Couzon : C'était la Croix-Rousse et nous avions avec ce hameau l'embryon du futur célèbre quartier.
Cette croix emblématique, quoique moins connue que le Gros Caillou, a connu une histoire mouvementée : Abattue par les protestants en 1562, reconstruite par la suite, puis de nouveau détruite sous la Révolution, relevée encore une fois, puis encore supprimée à la fin du XIX°, elle est, depuis 1994, remplacée par une nouvelle Croix qui, au même endroit, maintenant, Place Johannes AMBRE, rappelle l'origine du quartier.
Si maintenant nous regardons le plan de Bertrand en 1785,
(voir : http://www.archives-lyon.fr/old/fonds/plan-g/images/pXIV.htm ) bien que très abîmé, il nous montre les évolutions deux siècles plus tard.
Vers 1555, une veuve Paquelet vend quelques parcelles sur le côté est de la Grande Rue. Dans les années 1630 la veuve de Pierre Aymé de la Forest, avocat et aussi gros propriétaire vend une partie du Saugey. Ces terrains seront morcelés pour être lotis.
Les acheteurs des parcelles sont des commerçants et des artisans voulant profiter de la fréquentation de la Grande Rue, voie commerciale alors très importante.
Le passage des marchands genevois ou allemands se rendant aux foire de Lyon favorise l'installation d'activités diverses : Relais de poste, auberges (la bonne femme sans tête, le Chariot d'Or, une rue recevra ce nom au XIX°), hôtelleries pour accueillir les voyageurs, échoppes d'artisans, maréchaux-ferrants, charrons et bourreliers pour s'occuper des chevaux et réparer les attelages, sans oublier un grand nombre de cabaretiers et de marchands de vin,mais je vais y revenir…
Nous avons donc là un développement semblable à celui que nous avions vu pour la Grande Rue de la Guillotière, cet autre faubourg situé à une autre porte de Lyon.
" A cha peu" notre Grande Rue se borda, de chaque côté, d'une ligne continue de petites maisons mitoyennes, assez basses, construites en pisé, l'argile n'étant pas rare sur le plateau. Ces maisons qui imitent les constructions paysannes voisines, contrastant avec les maisons de la Grand'Côte, à trois ou quatre étages maintenant, comme les immeubles de la ville.
Derrière chaque maison, on trouve un petit jardin ou une cour, un puits où plus souvent une "boutasse" pour arroser les légumes.
Le Père Max Bobichon , un gone de mes amis, évoque dans son livre "St Denis de la Croix-Rousse", la population qui habitait la Grande Rue :
« En 1493, Claude Brochet tient auberge "au-delà des vieulx fossés de Saint Sébastien" (Montée de la Grand Côte) et Claude Paquelet "tient hostellerie" au 16-18 de la Grande Rue, elle se nomme "l'Auberge du Grand Chariot", puis après "l'Ecu de France". Aux 20-22-24 de la Grande Rue, le boulanger Delassalle nomme son échoppe "La Garde de Dieu". Un teinturier de soie" à l'enseigne Tête d'Or", au 28, possédait maison, écurie, fenière, cour, puits. Le "Loup botté", au 36, attend les voyageurs, et au 28-40, l'enseigne "Saint Eloy "indique que le maréchal-ferrant Virieu tient boutique. Le puits creusé au n° 44 avait une grande importance pour tous les voisins. Entre la rue Janin actuelle et la Boucle, on compte les boutiques de deux charrons (82-84), d'un maréchal-ferrant (88), d'un cordonnier (90)… ».
Mais il ne faudrait pas oublier les cabaretiers qui sont souvent en même temps des marchands de vin et même de charbon de terre venu de Rive de Gier dès le XVII° siècle.
Le plateau de la Croix-Rousse et Serin, son port sur la Saône, sont à cette époque, par leur appartenance au Franc-Lyonnais dont nous avons déjà parlé dans un chapitre précédent, un véritable petit paradis fiscal. Le port Saint Vincent, maintenant rattaché à Lyon, avait perdu ces avantages, mais on a pu comparer Serin à un petit Bercy, le port au vin de Paris. Il m'est arrivé de parler de Serin à plusieurs reprises, je ne veux pas "bartaveler" encore là dessus : Souvenez vous : les verriers, les marchands de vin, les tonneliers…
S'il y avait de moins en moins de vignes à la Croix-Rousse, il y avait encore beaucoup de vin car il arrivait par bateau sur la Saône. Et du vin, il en fallait, non seulement parce qu'il y avait peu d'eau sur le Plateau mais parce que les lyonnais venaient nombreux rejoindre les croix-roussiens pour en consommer à bon compte ce qui d'ailleurs ne plaisait pas trop, et c'est le moins que l'on puisse dire, aux commerçants de la ville !
Le chemin de Serin, reliant le port au Plateau, va prendre de plus en plus d'importance avant de devenir notre Montée des Esses. L' Assemblée Municipale de Cuire-la Croix-Rousse, créée en 1787, apportera tous ces soins à l'entretien de ce chemin. (Les territoires de Cuire et de la Croix-Rousse ne firent qu'un jusqu' à la Révolution).
Le vin était alors plus sûr que l'eau souvent polluée, et l'on en consommait pas mal : Jugez plutôt : plus de deux litres et demi par jour en moyenne par adulte ! Il est vrai qu'une partie de ce vin n'était que du clairet, piquette ne dépassant pas 7° à 8° mais il ne faut pas s'étonner que la colline ait donné le jour à notre Gnafron qui avait le "corgnolon" aussi pentu que la Grand'cote!
Mon ami Max écrit encore en effet :
« Il y avait aussi de nombreuses auberges vendant du vin, car ce "faubourg" faisait partie du Franc Lyonnais et, comme son nom l'indique, ne payait pas de taxe. Cet avantage attirait donc les habitants de Lyon : certains mêmes s'installaient à la Croix-Rousse à cause de cela et les Echevins protestaient, ainsi que le Prévôt des Marchands… »
« Cependant la population… représentait 60 foyers, 370 habitants et les lyonnais avaient construit sur la Croix-Rousse 113 maisons de campagne : c'est un arrière pays rural avec vocation d' accueil. »
Autre changement dans ce faubourg rural, la culture maraîchère, au XVII° siècle, remplace les céréales, et le plateau devient un vaste jardin potager. Sur ce terrain argileux, on se met à cultiver toutes sortes de légumes : les racines (carottes), les raves, les choux dont on fait une grande consommation, les blettes, les haricots et, quand elles apparaîtront en France, les pommes de terre… L'arrosage de ces nouvelles cultures est assuré par l'eau de pluie recueillie dans des fossés et des boutasses creusés par les jardiniers.
C'est bien sûr le voisinage de Lyon qui provoquera cette mutation. En ville la population augmente, de nouvelles maisons se construisent en presqu'île, les jardins disparaissent, et les faubourgs sont appelés alors à nourrir les lyonnais, la Guillotière fournit la viande de ses bêtes paissant dans les "broteaux", et la Croix-Rousse les légumes que l'on vient acheter, en traversant la porte Saint Sébastien, sur le marché encore célèbre de nos jours.
Concurrencés par les commerçants du Plateau, ceux de la Grande Côte devront "se décabanner" pour s'installer, eux aussi sur le plateau ou ailleurs. Ils laisseront alors leurs maisons à des tisserands, précurseurs de ces canuts qui viendront s'installer nombreux, après la Révolution, sur les pentes, puis sur le plateau.
En attendant, il est temps que je vous donne rendez-vous au prochain chapitre où nous aborderons la Croix-Rousse, comme la colline qui prie… et oui !
A vous revoir mes belins, belines, à la semaine que vient, si ce n'est avant.
Le Gone.