Il y a bien longtemps Marius, un soldat qui servait dans un bataillon de chasseur à pied, rentre chez lui lors d'une permission de fin d'année. Au lieu de monter dans le train à Moutiers et rentrer avec les autres permissionnaires, il s'engage, skis au pied, pour traverser les montagnes...
Le chemin est bien long dans ces pentes enneigées, et la nuit arrive vite à cette saison. Notre militaire après avoir remonté la vallée des Bellevilles, décide donc de s'arrêter dans une cabane, juste en dessous du Col du Bonnet du Prêtre. Avec des bûches de bois qu'on laisse à l'usage des voyageurs égarés, il fait un grand feu pour se réchauffer, et casser la croûte. Il barricade bien la porte à l'aide d'une grosse souche, et il se dit :
- Si le diable y était, personne ne pourrait rentrer !A peine a-t-il formulé cette pensée que la porte s'ouvre sous l'action d'une violente poussée, rejetant la souche ; un inconnu portant une étrange soutane, entre dans le chalet et vient s'asseoir sans dire un mot, juste à coté de notre homme. Au bout d'un moment, le soldat se baisse pour attiser le feu et il entrevoit sous la robe de l'inconnu deux pattes de chèvre ! Aussitôt il se dit en lui même :
- Ce ne peut être que le diable !.. et il se met à trembler de peur
Le Diable (c'est bien lui) se lève aussitôt et s'en va sans avoir proféré une parole. Le soldat se dit :
- Ben maintenant, il ne me reste plus qu'à aller me coucher.Il monte sur le plancher qui se trouve au-dessus de lui et s'endort sur un tas de foin. Vers minuit, il est réveillé par le bruit d'un troupeau qui arrive au milieu d'un tintamarre de sonnailles, accompagné de montagnards qui aussitôt se mettent à traire les vaches. Ensuite ils s'écrient :
- Maintenant on va faire la tomme !
Placé comme il est, Marius entend et voit tout par les interstices des planches. Quand ils ont fini de faire le fromage, les montagnards ont commencé la fabrication du sérac. Puis ils se sont mis à en manger dans des gamelles, tandis que l'un d'eux a fait remarquer aux autres :
- Il faut en porter à celui qui est là-haut !A ces mots, Marius est pris d'une intense frayeur ; il arrache une planche du chalet, saute en bas et s'enfuie à toutes jambes emportant avec lui son sac à dos et ses skis. Il ne prête pas attention aux voix qui l'appellent :
- Retourne ! retourne ! il y en a encore pour toiSans demander son reste, il regagne le col, chausse ses skis et part pour une descente infernale en direction de la vallée de la Maurienne. Faire du ski la nuit, ce n'est pas facile surtout avec le matériel de l’époque qui n’était pas trop champion, en plus la lune ne brillait pas ! Notre soldat s'envole sur une première bosse et retombe dans un trou rempli de neige poudreuse. Après quelques instants, il se remet sur ses skis tant bien que mal et repart de nouveau. Plus loin un autre trou de neige l'attend, et puis encore bien d'autres. A chaque fois notre soldat a bien trop peur que le diable ne le rattrape et se dépêche vite de repartir.
Au petit jour il arrive vers l'entrée de son village. Mais il ne se reconnaît pas vraiment, les champs sont envahis par les broussailles, les antiques toits en chaume sont recouverts de tôles, même les chemins ne sont plus à leurs places...
Tout a changé pourtant les trois Aiguilles d'Arves, belles et majestueuses, se dressent comme avant et comme toujours, juste devant lui. Il regarde une volute de fumée qui s'échappe d'une cheminée ; elle aussi n'a plus la même odeur...
Il reste là pensif sans comprendre...
Et si c'était le diable qui lui avait fait traverser le siècle?
Zian des Pâles. le 1 janvier 2000